vendredi 26 mars 2010

Entretien avec Benoite Groult

Nous vous invitons à lire et éventuellement réagir à l'interview que Benoîte GROULT nous avait accordée.
Plus d'articles sur notre site!

Un matin du mois d’avril, il pleut. Un petit escalier, je sonne. Une dame ouvre et sourit : me voilà devant Benoîte Groult. Pas de préliminaires : elle ne m’accordera qu’une heure, ayant un emploi du temps médiatique fort chargé. Attentive, soupçonnant mon émotion face à celle qui est, pour tant de femmes, l’icône du féminisme chaleureux et convaincu, elle me propose de nous installer autour de la table de la cuisine.

Sylvie Brodziak : « L’on parle aujourd’hui beaucoup de la femme de 50 ans, est-ce toujours un âge à redouter ? »

Benoîte Groult : « Certainement pas. On donne dans les médias, pour des raisons essentiellement commerciales, une importance démesurée à la femme de 50 ans. Ce n’est plus aujourd’hui une date butoir ! Certes, tous les âges de la vie d’une femme sont importants, mais aujourd’hui 50 ans n’est plus un âge obsédant. Les traitements substitutifs de la ménopause sont efficaces, cela marche très bien. La ménopause passe sans que l’on s’en aperçoive. De plus, le moral est très important dans tout ça. »

S.B : « Y a t-il malgré tout des étapes plus difficiles dans la vie d’une femme ? »

Benoîte Groult : « Oui, la vieillesse. À 80 ans, vous devenez une femme invisible. La société n’est pas tendre avec les personnes âgées. Dans celle-ci, la femme n’est considérée comme intéressante que tant qu’elle a ses règles. Cette obsession des règles fait de la femme « une éternelle malade », telle que la nommait Vigny. Cela est dépassé. La physiologie ne conditionne pas les étapes. Il faut donc éviter la médicalisation à outrance. À 50 ans, c’est là que, pour beaucoup de femmes, tout commence. »

S.B « Madame Groult, lorsqu’en 1975, vous avez publié Ainsi soit-elle, vous vous êtes avouée féministe, et depuis vous n’avez cessé de l’affirmer. Que pensez-vous aujourd’hui du combat pour les droits des femmes, est-il passé de mode ? ».

Benoîte Groult : « Certainement pas ! Bien au contraire ! Pour ma part, j’ai mis longtemps à devenir féministe : cinquante ans sans prendre conscience, c’est terrible ! Je suis née avec zéro droit. J’ai vu mes droits arriver un par un. Je n’ai été une citoyenne qu’à vingt-cinq ans et une féministe consciente qu’à cinquante !
Le féminisme est un combat toujours légitime. Essayer d’étouffer le féminisme c’est refuser d’éteindre les injustices. Le féminisme est encore considéré comme une étiquette infâmante. Mais regardez autour de vous ! Que connaissent encore et toujours les femmes ? Les tâches domestiques ne sont toujours pas partagées ; dans leur profession, elles se heurtent au plafond de verre et n’ont toujours pas, à travail égal, des salaires égaux. Ma génération a tout acquis petit à petit : droit de vote, droit à l’avortement, la loi sur la parité. Le féminisme est un humanisme. »


S.B : « Et malgré cela, les femmes ne sont toujours pas dans une situation idéale. Vous qui avez été une combattante, qui avez fondé en 1978 le mensuel féministe F Magazine avec Claude Servan-Schreiber, qui avez écrit dans Elle, Parents, Marie-Claire…, que diriez-vous à votre arrière-petite fille Zélie, à toutes ces jeunes femmes qui vont faire le monde de demain ? »

Benoîte Groult : « Je leur dirais de continuer à se battre pour que l’on cesse de culpabiliser les femmes. La vie ne s’arrête pas. L’avenir dépend de ce que vous faites à 35 ans. Aussi doivent-elles travailler à un monde où il n’y aura plus de discriminations contre les femmes. Il faut qu’elles refusent d’approuver et de correspondre aux fantasmes masculins. Regardez tous ces journaux féminins. Avant, les grands journaux féminins parlaient régulièrement des droits des femmes, aujourd’hui cela est rare sauf parfois, il est vrai, sur les femmes afghanes. Ces grands journaux sont devenus des lieux de publicité et incitent à la consommation et à la fabrication du corps des femmes qui ne sont que dans la séduction. Ce sont des journaux de beauté. Croyez-vous que cela soit bon pour les femmes cette mode des talons hauts, très hauts ! Cela les déséquilibre et les fragilise. Elles sont des femmes-poupées, des femmes-objets : les hommes aiment ce qui fragilise les femmes. On insiste beaucoup trop sur le rôle sexuel des femmes. Elles ont un cerveau - souvenez vous au XVIIIe de Madame du Châtelet et de Voltaire. »

S.B : « Mais il y a des femmes qui souffrent plus que d’autres dans le monde. Votre livre Ainsi soit-elle osait parlait de l’excision. Cela ne s’était jamais fait et a fait scandale. »

Benoîte Groult : « Oui, il faut regarder loin et autour de nous. D’une façon générale, la liberté des femmes fait peur. Une sexualité féminine entière fait peur. Le plaisir personnel sans procréation est mal vu, et l’on cherche à brider cet espace intime de liberté qu’ont les femmes. Une femme « entière » est jugée comme anormale. Or le clitoris n’est pas une maladie.
Femmes violées, excisées, mariées de force, prostituées, tous ces dénis de liberté pour les femmes sont pour moi un affreux chagrin. Et parfois, au nom de la diversité, nous sommes coupables d’un certain retour à des traditions aliénantes : le voile par exemple. »

S.B : « Mais où est donc l’espoir ? »

Benoîte Groult : « Il existe, bien entendu. Il faut que les femmes refusent d’être instrumentalisées, et les femmes de cinquante on un rôle majeur à jouer, elles peuvent faire des tas de choses pour y parvenir.
D’abord, la vie est loin d’être achevée à 50 ans. Il faut surtout que les femmes gardent leur travail. Souvent le mariage coupe les ailes, alors lorsqu’elles se retrouvent seules à 50 ans par accident de la vie, elles sont démunies et vulnérables. Une femme peut s’accomplir à 50 ans et après. Je connais des femmes qui, à 60 ans et plus, découvrent le plaisir et l’orgasme. Après 50 ans, toutes sortes d’ambitions viennent aux femmes et c’est formidable ! Que les femmes ne lâchent rien ! Elles doivent penser à leur épanouissement personnel. Une femme à tout âge doit veiller sur soi d’abord. La tradition du dévouement et des sacrifices peut mener à l’amertume et à l’abandon. Les femmes doivent revendiquer un certain égoïsme, c’est la vertu de la santé et de la survie. Pourquoi renoncer à ce qu’on aime le plus ? »

S.B « Et vous Madame Benoîte Groult, vous dans tout cela ? ».

Benoîte Groult : « Moi, je continue à faire ce que j’aime. J’adore, depuis toute petite, la pêche à la crevette. Je me sens bretonne de cœur et de goût, j’aime traquer les crevettes sous les goémons, mais hélas il n’y en a plus en Bretagne. Aussi, je vais encore pêcher en Irlande comme je le faisais avec mon mari Paul Guimard. Je vais chez des amis deux fois par an. Je suis profondément liée à la nature et à la mer éternelle. J’adore les odeurs, les étendues et leurs couleurs. Pour moi, l’Irlande est un pays de cocagne. Tant que je pourrai marcher, j’irai à la pêche à la crevette. » 

J’arrête d’écrire. Quelques photos. Il faut partir. La porte se referme sur cette grande dame douée d’un extraordinaire amour de la vie. En descendant l’escalier, tel un refrain, je me répète sa dernière phrase : « Penser à soi, une femme doit penser à soi. »
                                   Propos recueillis par Sylvie Brodziak, Enseignante-Chercheuse en littérature, Université de Cergy-Pontoise.

1 commentaire: